Philippe Mac Leod. Le chant d’azur du poète.
Publié le 3 juillet 2013
L’invité du blog: Philippe Mac Leod
Philippe Mac Leod est décédé le 25 février 2019 en Bretagne où il vivait depuis 2016. Il venait de publier « Variations sur le silence » et « Supplique du vivant » (Ad Solem).
Né en 1954 Philippe Mac Leod vit dans la région de Lourdes. Poète, écrivain, musicien, chroniqueur pour l’hebdomadaire La Vie, actuellement animateur au centre Assomption, il a consacré un de ses ouvrages à la cité mariale. « D’eau et de lumière, Lourdes, une spiritualité de la transparence » (aux éditions Ad Solem, 127 p., 12 €). C’est Bernadette qui l’a conduit à Lourdes partage-t-il.
La journaliste Claude Luquet présentait alors l’auteur : « Né au Maroc, l’écrivain a des ascendants écossais très lointains. Après une enfance à Versailles puis à Nice, il s’installe à Paris et travaille dans l’édition. Mais de tous temps, l’âme ‘saisie ‘par la poésie. D’un caractère entier, célibataire, il tente une expérience contemplative chez les Trappistes. Puis, pendant sept ans, il embrasse la vie d’ermite dans les Pyrénées. « Mes proches ont accepté ce choix qui correspondait à mon tempérament ». Mais son amour de l’écriture et de la poésie le pousse à vouloir, par ses moyens, partager son expérience spirituelle personnelle pour « éveiller l’autre à sa propre intériorité »….(…) Ses ouvrages sont autant de pierres pour guider celui qui est sur le chemin de sa découverte, de sa profondeur infinie ».
Il nous confie un texte écrit pour ce blog alors que les sanctuaires de Lourdes ont rouvert après avoir été inondés par une crue destructrice.
« Marie gardait tous ces événements dans son cœur. » C’est là l’attitude mariale par excellence. Il serait dommage à Lourdes de l’oublier. Nous avons bien le droit de nous poser toutes sortes de questions : pourquoi Marie n’a-t-elle pas arrêté ces flots en furie, pourquoi a-t-elle laissé saccager une deuxième fois ce lieu, ou que veut-elle nous dire, montre-t-elle par là son mécontentement, serait-ce les prémices d’une prochaine apocalypse ? Marie gardait, retenait toutes ces choses, tous ces événements dans les silences de son cœur. Aussi, gardons-nous des interprétations sauvages, ne donnons pas à notre inquiétude des réponses qui seront toujours trop courtes, trop hâtives. De cette petite niche encore émergée, Marie gardait, regardait cette furie des éléments passer devant la grotte, comme nous-mêmes regardons bien souvent la furie du monde passer sous nos fenêtres, sous nos yeux ou entre les doigts de nos mains impuissantes. De son cœur silencieux, de cette même petite niche, elle a vu aussi l’immense élan qui a suivi les flots du Gave, la force humaine après la puissance aveugle des éléments, la détermination, la générosité, la douceur, la communion après le chaos, comme un nouveau monde, un premier matin.
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– Quelles sont les musiques, anciennes ou récentes, évoquant Dieu que vous avez entendues et appréciées?
– Philippe Mac Leod: Dernièrement, l’Ave Maria de Caccini, en prenant davantage conscience que la musique ne tient pas au simple tracé d’une ligne mélodique mais au pas de l’interprète, à cette manière propre de progresser, qui devient alors sa musique, nous permettant à notre tour de la faire nôtre. C’est toujours “ma” musique que j’écoute, la musique qui vient réveiller celle qui est écrite sur cette portée flottante, comme les drapeaux au vent, que forment les fibres de mon intimité. C’est pour cette raison que la musique touche l’âme à ce point. Elle vient nous rappeler les profondeurs insondables de notre cœur, et Dieu n’est alors jamais très loin.
– Selon vous, Dieu aime-t-il la musique ?
Cette question fait partie des nombreuses questions que je ne me pose jamais. Dieu n’a pas besoin, pour ainsi dire, d’aimer la musique, puisqu’elle vient de lui, puisqu’elle est un peu de son doigté, un peu de son souffle passant sur nos cordes humaines. Toutefois, même si je n’adhère pas à cette approche de Dieu, j’y répondrai ainsi : Dieu aime qu’on aime la musique.
– Au paradis quelles musiques y entend-on ?
Le silence. Le profond silence. Le silence intérieur, comme une note suspendue, un long point d’orgue qui s’ouvre sur l’infini et nous fait entrevoir, goûter, savourer, non seulement la vie éternelle, mais l’éternité de la vie — ce que la vie a d’éternel, d’essentiel. Il faudrait apprendre aux enfants à considérer et à entendre le silence comme une musique, avec sa tonalité propre, sa clef, sa longue écriture sans barre ni mesure. Le silence — sa dimension contemplative, qui est la source de toute beauté, de toute vraie musique, comme de toute poésie, de toute parole véritablement humaine — le silence, sans lequel la musique ne pourrait pas résonner — le silence, qui fait la charge des mots, leur densité, leur vibration.
– Quelles sont les musiques qui, selon vous, invitent à la prière ?
Certaines musiques, effectivement, peuvent inviter à la prière, par leur climat contemplatif, épuré de tout pathos. Je pense évidemment au grégorien, mais aussi aux pièces méditatives de Liszt à la fin de sa vie, à la pureté de certains préludes de Fauré, à Debussy pour son extraordinaire limpidité, à cette dernière sonate de Beethoven dont les notes s’espacent pour laisser place à l’immensité qui gagne. Mais la musique peut aussi fausser l’intériorisation. Si elle invite à la prière, elle doit savoir s’en retirer. La musique que l’on passe en boucle dans certaines églises ne fait que meubler un vide qui nous gêne et, surtout, par une pommade doucereuse, nous détourner de la radicalité de la prière.
– Que chantent les anges musiciens ?
Les anges sont tous musiciens. Même dans les tableaux, ils sont musiciens. On ne les voit jamais peindre. Il n’est pas davantage question des anges poètes. J’en rencontre, pourtant… Mais la raison de cette exclusivité est plus profonde, elle tient à cette ténuité de la musique qui l’apparente au ciel. La musique appartient aux airs. Les arabesques qu’elle y dénoue s’effacent aussitôt, comme sur une ardoise magique. Les anges en recueillent les fils, les plus fins, les plus lumineux, sur des partitions dont nous ne connaissons pas encore le langage.
– Si la prière était une chanson, une musique, laquelle choisiriez-vous ?
C’est plus sérieux que cela. Sérieux, oui, mais avec légèreté, cette qualité propre à la musique justement. Sans rien qui pèse, sans superflu non plus, avec cette fluidité, cette agilité qui lui permet de se glisser comme un rayon dans l’obscur de nos chairs. La grâce est de cet ordre — plus proche du sourire que du rire, plus proche de la clarté que de l’éclat bruyant (brillant). Dans le langage profane, la grâce rejoint cette élégance sans artifices, discrète, secrète, comme à son insu, qui fait de la beauté un miracle de chaque instant, jusque dans sa simplicité, son naturel confondant. Pourquoi dire cela ? Parce que la prière n’est ni une chanson, ni une musique (même sublime), mais la grâce qui nous accorde, nous réaccorde, sans cesse, patiemment, pour nous rendre la note juste. Le secret de la musique tient à cet attouchement intérieur, d’une délicatesse désarmante, jusque dans la blessure, qu’elle rouvre pour nous montrer les trésors cachés au fond de chacune de nos plaies.
– Qu’aimeriez vous « chanter » à Dieu en le rencontrant ?
Un chant nouveau. Si nouveau que je ne puis en avoir une idée aujourd’hui. Un chant nouveau, d’une voix neuve, sur des notes transparentes comme la rosée. Le chant d’une jeunesse retrouvée, bien avant l’enfance, un chant vaste, puissant et doux à la fois, comme l’aube qui monte. Un chant comme un matin frais. Un chant d’azur.
– Quelles sont dans votre discothèque personnelle les musiques, les chansons qui sont vos préférées. Les dix musiques et chansons à emporter sur une île déserte?
Pendant longtemps, de longues années, j’ai écouté beaucoup de musique, avec une prédilection pour la musique de chambre, le violoncelle et le piano solo. Bach, Schubert m’ont accompagné, ainsi que les voix aériennes des voûtes cisterciennes. Dans ma maison de pierre au milieu des montagnes, je suis devenu un peu Chartreux. La nudité s’est imposée. La musique n’y a plus sa place. Parce que je trouve aujourd’hui dans le silence ce que je cherchais et devinais en elle. Elle m’a ouvert ce chemin, elle m’a guidé, aimanté. Puis elle s’est retirée, avec discrétion, humilité. Elle m’a laissé franchir, non pas la porte d’une cellule, mais le seuil d’un espace sans limites où la présence de Dieu est devenue la basse continue du fil de mes jours.
– Quel est le refrain qui vous a le plus marqué ?
La petite phrase de Vinteuil, chez Proust, qui revenait dans mes lectures de jeunesse pour toujours pincer la même corde, profonde, et me redire ce que je n’avais pas su entendre.
– Quels sont les grands auteurs, compositeurs ou interprètes qui comptent pour vous ?
Bach a occupé une place considérable. D’autres compositeurs ont compté, mais la liste serait trop longue. Je rends grâce aux interprètes qui m’ont permis d’aimer la musique, d’entrer dans ses subtilités, sans être moi-même musicien. Glenn Gould. Claudio Arrau. Alfred Brendel. Marie-Claire Alain. Pierre Fournier. Gustav Leonhardt. Elisabeth Schwarzkopf. Margaret Price. J’en oublie.
– La dernière fois où vous avez été ému en écoutant une musique, une chanson, laquelle était-ce ?
Chez une amie musicienne, ses improvisations à la cithare. Rien de rare, mais cette sonorité cristalline, ce doigté où passait tout l’élan du cœur, ces notes grêles, éphémères, aussitôt bues par les airs, et cette âme qui était la vraie caisse de résonance, d’un bois si précieux.
– Si Dieu était une chanson, une musique, laquelle serait-ce ?
Dieu s’est fait chair. Apprenons plutôt à entendre la musique qu’il y a mise. Apprenons plutôt à jouer de cette chair, à la faire sonner, la faire chanter. Apprenons aussi, un peu plus souvent, à éteindre la radio, la chaîne, le baladeur, pour mieux rejoindre la musique, pour lui rendre cet espace sans lequel elle ne sera jamais qu’un bruit de plus.
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