Compte-rendu du 16 mars 2024

Publié le 1 mai 2025 à 09:20

L’Association des Amis de Philippe Mac Leod organisait à la Maison d’accueil de l’Île Blanche une deuxième journée de conférences, le 16 mars 2024 –

Voici le résumé des différents exposés :

Introduction à la pensée de Ph. Mac Leod sur la poésie et présentationde quelques caractéristiques de son écriture Jean-François Duyck

 

1 – Préalablement, quels sont les conseils de Philippe « pour lire et s’ouvrir à la poésie « ? (La Vie – Les Essentiels 5 juin 2015). Il faut, selon lui
- se laisser dérouter, la poésie ne se donnant pas dans l’immédiateté –
- s’ouvrir à la pluralité de sens, le poème étant un monde en lui-même, autonome, avec sa respiration propre, ses rapports internes, son climat
- être dans la gratuité, qui est une disponibilité, une mise en condition, car lire la poésie sera toujours une aventure, un exercice éminemment spirituel.

Ph. Mac Leod donne à la poésie un statut d’antériorité, celui de saisir que le monde est habité. Pour lui, la poésie est «première» : elle est vieille comme l’homme, elle est lorsque naît la parole. Elle est primordiale en ce sens qu’elle met l’accent sur le caractère original de la parole : elle est présente dès le début de l’humanité et elle est, pour les chrétiens, à l’origine de la création puisque Dieu dit et ce qu’il dit est créé. «La poésie nous relie à l’acte créateur et à cet absolu que nous sommes chacun». Elle est plus ancienne que la philosophie, elle est antérieure à la théologie. Philippe place la poésie sur le plan de la création divine : Dieu délègue en quelque sorte à l’homme la parole créatrice qui fait advenir les êtres et les choses à leur pleine réalité et vérité.
Notre ami assigne à la poésie une orientation clairement mystique qui « ne soit pas seulement une poésie pour Dieu, mais une poésie en Dieu». En effet elle est écrite à « l’intérieur » de Dieu et donc, si l’on peut dire, à l’intérieur de l’intérieur de soi, parce que Dieu est au plus profond de soi, « plus intime à moi-même que moi-même» (Saint Augustin).
D’où pour Philippe l’importance de notre profondeur, qui est la demeure de Dieu en nous. Et c’est de là, de cet espace, de cette rencontre que se reçoit et se compose la poésie. Donc pour lui la poésie ne sera jamais un art, mais une «conquête», de soi, du monde, du cœur caché des mots qui l’amènera plus loin, vers la lumière. L’écriture poétique est inséparable d’une expérience spirituelle.
Il développe aussi sa conviction que la prière et la poésie s’attirent l’une l’autre et se rejoignent : elles sont toutes les deux au service de la présence. La poésie est une sorte de regard priant, de présence priante au monde, elle est un fruit de la vie contemplative. La prière, quant à elle, entretient notre ouverture à ce qui nous fonde et nous dépasse également ; or la poésie qui prie replace dans cette ouverture infinie chaque instant, chaque chose, chaque signe du monde visible.
Un rapprochement est également possible entre l’écriture poétique de Philippe et sa pratique de la lecture biblique : elles sont toutes les deux à la recherche du sens spirituel des textes de la Bible, c’est-çà-dire de la Présence.

 

2 - Avant une étude de l’écriture de Ph. Mc Leod, à réaliser ultérieurement, nous (Frédéric Dieu et Jean-François Duyck) avons repéré quelques caractéristiques formelles de son œuvre.
Le terme de «méditations poétiques» pour qualifier son oeuvre convient assez bien. Il n’a pas écrit de poésie classique, versifiée, mais s’est exprimé en prose poétique. Oui sa langue est poétique : on y trouve cadences, sons, métrique, prosodie, images et métaphores, un vocabulaire riche - «si nos mots sont pauvres, indigents, c’est que se cachent simplement l’inconséquence et la pusillanimité de notre vie intérieure» -. Le ton dominant de son écriture est celui de la méditation, de la contemplation, de l’introspection.
L’ampleur de son écriture, qu’il souhaite libre, traduit l’ampleur de son souffle et de son regard. Ce choix d’une poésie ample et non versifiée - déploiement spatial de sa méditation, de sa prière - traduit sa volonté d’habiter le poème, parce qu’en lui se trouvent, se manifestent, se déploient la vie, la croissance (ou le mouvement) et l’être.
Philippe considère que l’image reste le langage privilégié de la poésie, mais des images qui ne se vérifient pas dans le quotidien, qui s’imposent d’elles-mêmes parce qu’elles font sens, parce qu’elles nous ouvrent d’autres horizons ; elles poussent plus loin le réel immédiat, celui de l’expérience routinière, pour l’élargir, l’affranchir. Il fait un usage important des «métaphores vivantes» (arbre, montagne, source, la terre, les grands horizons, etc...). A propos de ces métaphores, Frédéric Dieu parle de « fraternités », avec la terre et ses labours, avec l’oiseau, avec les arbres. Philippe nous propose d’adopter la méthode analogique, «ces signes vivants nous communiquant le sens spirituel dont ils sont porteurs».

 

Repérages - incomplet à ce stade - de quelques caractéristiques de son écriture.
I. des phrases souvent longues, pour convaincre mais aussi traduire un désir d’unité entre la vie et les mots, entre le mouvement et la phrase, entre la parole reçue dans la prière et celle qui est donnée au lecteur sur la page.
II. Un choix très précis, très expressif des mots, la richesse des adjectifs, témoins d’une grande technique littéraire, des descriptions très détaillées.
III. Une foison de mots rares, d’expressions insolites...signe d’une imagination parfois déroutante.
IV. Une fréquente utilisation du mot «bleu», etc ...

 

L’écriture de Philippe Mac Leod n’est-elle pas une écriture de la beauté, du bonheur d’être, de la lumière et de la conviction profonde que l’homme est fait pour la lumière ?
On peut dire que c’est une écriture foncièrement «optimiste», sûre d’elle même, au sens de confiante, ferme, assurée, solidement fondée et enracinée sur Dieu, sur le Christ. Au sens également où elle ne doute pas du pouvoir des mots, de leur capacité à dire la vérité, accéder au mystère. On peut aussi la qualifier de «liturgique» car elle est une écriture de la célébration et en ce sens du culte, de la louange rendue à Dieu dans sa Création et son Amour.

 

Philippe Mac Leod et le Christ - 2e partie

Anne-Cécile Rupied

 

1. Le poète, homme eucharistique
Le chemin de Philippe vers l’eucharistie commence par un fait très concret : « Durant des années, de nombreuses, de longues années, j’ai prié devant le Saint-
Sacrement en fixant la petite veilleuse comme un phare dans la nuit […] – jusqu‘à ce qu’elle finisse par s’éteindre, définitivement ; jusqu’à ce qu’elle s’allume en moi, d’une flamme d’abord faible, puis de plus en plus haute ; jusqu’à ce que je la devienne » (Avance en vie profonde, p. 73).
C’est chez Patrice de La Tour du Pin qu’il « rencontre un nouvel appel à travers cette formule qui ne devait plus [l]e quitter : l’homme eucharistique » (Habiter les mots, p. 59) : « Au dernier pas de création, Viens faire l'homme eucharistie ! » ; « Prenez son corps dès maintenant, Il vous convie à devenir eucharistie », écrit le poète1.
Dans ce beau texte de Habiter les mots (p. 59-61), Philippe nous livre des expressions fortes : L’homme eucharistique, c’est l’homme « au sens paulinien de l’homme nouveau, l’homme revêtu du Christ, l’homme retourné, renouvelé de fond en comble, dans une sorte d’engendrement à partir d’une grâce baptismale pleinement reconnue. » (cf. Ac 9, 4-9; Ph 3, 7-8 ; Ep 4, 22-24 ; Gal 3, 26-27).
« Le Christ lui-même prend possession d’une chair singulière [celle du poète] pour la consacrer, la faire sienne et la donner en nourriture à la multitude qui a faim d’un
langage fort – d’une lumière porteuse de vie – d’un horizon qui élargit l‘histoire comme l’existence. Le poète s’offre, lui aussi, « remettant sa parole entre les mains de la Parole, pour se couler dans le Verbe qui réclame l’espace de son être afin de parvenir à des lèvres humaines. »
En un mot, l’eucharistie consommée consume le poète. Il devient par participation « l’homme eucharistie », par « une remise totale de soi à l’action sanctificatrice de la
grâce, non plus dans la recherche d’une œuvre personnelle, mais dans l’unique souci de prolonger l’élan créateur et rédempteur. »

 

2. « Demeurez en moi comme je demeure en vous »
Philippe aime particulièrement l’Évangile de Jean, et revient souvent sur ce verset (Jn 15, 4), qui exprime bien son expérience. En voici quelques aspects :
- Intériorité réciproque : « “Dans le Christ” : tu rencontreras souvent cette étrange expression, qui apparente le Christ à un espace, un milieu ou un climat qui cherche à nous capter et nous unifier en lui. Laissons-la résonner, jusqu’à ce qu’elle ouvre une véritable étendue, une sorte de ciel invisible, une présence sans visage ni limite » (PPCO, p. 229).
- Formule d’alliance : « S’effacer, entrer dans son mystère, en le laissant nous incorporer en même temps que nous l’assimilons. En vivre, dans le sens le plus élémentaire du terme. Que nous devenions sa chair et qu’il soit notre Corps » (S et B, p. 107-108).
- Intimité : « Aimer comme lui a aimé, regarder comme lui nous a regardés. Vivre, exister dans le Christ. […] Respirer, se mouvoir dans le Christ, le sentir en tout, au point de nous absorber. C’est peut-être cela, vivre en ressuscité » (PPCO, p. 229).
- Durée : « Un jour tu comprendras combien cette présence demeure suspendue aux battements de ton cœur » (Avance en vie profonde, p. 73).
3. Le Christ eschatologique – Une vie en tension vers l’accomplissement (Voir Rm 8, 22-26 ; Ep 1, 8-10 ; Ep 4, 10-13 ; Ph 3, 12-16.)
« Le désir universel, l’universel gémissement tend vers Toi » (Grégoire de Nazianze). Cette tension vers l’accomplissement traverse toute la vie et tous les écrits de Philippe.
D’où son vocabulaire : déploiement, éclosion, expansion, éploiement, ouverture, croissance.
En ce sens Ph. Mac Leod est vraiment teilhardien.
« L’eucharistie porte le sens de toute la finalité du monde » (Sagesses, p. 55).
« Tout est parole : figures, signes, murmure toujours recommencé. […] une seule phrase, une unique mélodie déroulant ses interminables arabesques, dont il nous
manque la note ultime pour en saisir l’ensemble » (PCCO, p. 181-182).
« Le Ressuscité comme un pôle qui attire tout à lui, la présence du Christ comme un champ d’influence qui nous transforme par degrés, par mutations successives » (S et B, p. 106).
En conclusion, Philippe est chrétien, c’est-à-dire, habité par un Autre, christ par participation : «“Je vis, mais ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi” [Ga 2, 20].
Toute la mystique chrétienne pourrait tenir à cette pièce maîtresse » (S et B, p. 98).
En vie profonde : la poésie de Philippe Mac Leod – 2ème partie

 

Frédéric Dieu


Lors de la première conférence, j’avais présenté le message de Philippe Mac Leod : Avance en vie profonde (titre d’un de ses livres). La poésie engage tout l’être, toute la vie : elle est fréquentation de la Vie, de son mystère et de sa vérité, contemplation et manifestation d’une transfiguration. Elle est en effet à la recherche d’une solidarité qui est celle de l’âme et du monde. Âme, chair et monde sont traversés d’un même souffle, d’une même vie, qui est source de joie : « à un certain degré d’ouverture et de clarté, c’est Dieu, Dieu littéralement qui t’emplit ». Ce qui caractérise Philippe Mac Leod, c’est l’unité de sa vie : le retrait, la prière, la marche, la contemplation, la méditation de la Parole et l’écriture concourent à la joie de la rencontre avec Dieu.
Aussi la vocation poétique requiert-elle « le sérieux d’une consécration, un ministère au sens plein du terme, dont la source ne peut venir que d’en haut » : le ministère de la poésie.
D’ailleurs on ne trouve pas chez Philippe le constat d’une déficience et d’une pauvreté des mots, parce que sa poésie est tout entière ordonnée à la vie intérieure et contemplative. Si nous avons une vie intérieure, les mots sont à son image : la profondeur de notre langage et de nos mots est à la mesure de la profondeur de cette vie puisqu’elle est le lieu où se noue et se déploie notre relation à Dieu. Mais comment traitons-nous le langage : « Nous n’avons pas appris …à nous adresser à Dieu à partir de ce que nous vivons réellement. On préfère se cacher derrière des formules, un discours convenu….Et notre langage …parle à côté de nous ». Cessons donc de déconstruire le langage car « les mots nous viennent de Dieu ».
Il convient de rétablir les mots dans leur filiation silencieuse, car on ne peut opposer le silence à la parole : les mots naissent du silence, ils sont fils du silence. Le silence est relation et dialogue, il est échange et processions et veut nous révéler sa langue mystérieuse au point que le poète, y voyant et trouvant le souffle de toute vie, lui attribue en quelque sorte les qualités de l’Esprit.
Ce qui importe pour le poète, ce n’est pas d’abord d’écrire de la poésie, c’est de vivre en poète, de vivre en poésie. La poésie est bien plus qu’un genre et une entreprise littéraires, elle est « une aventure spirituelle » vers une parole originelle, une sorte de grammaire essentielle de l’être, sans laquelle rien de profond ne peut se dire. Elle est une foi qui nous dit que le monde visible ne s’arrête pas aux apparences, que le langage humain ne s’arrête pas à la communication.
La poésie en Dieu étant un exercice et une voie spirituels, la première condition est la vie contemplative. Elle n’est pas seulement un mode de vie et un mode d’être : elle est une voie d’accès à la vérité, comme l’est la prière, toutes deux partageant le même mouvement conjoint d’intériorisation et d’élévation. Oui, l’expression d’« exercice spirituel » exprime que la poésie est « une attention soutenue au mystère, la présence portée à sa plus haute intensité, les sons confirmant en quelque sorte l’esprit, ou l’esprit aspirant tous les sens en éveil »
Dire Dieu, Sa Vie, Son Souffle. La phrase de Patrice de la Tour du Pin : « Sème en nous des mots qui Te disent » récapitule la mission que Philippe Mac Leod assigne à la poésie. Le poète est prophète et messager entre Dieu et l’homme. Il s’agit donc de donner libre cours, plein déploiement à « une poésie mystique…une poésie en Dieu : une parole qui prolonge l’influence toujours aussi vive de sa Parole ». En effet, pour le poète, « il ne s’agit pas de parler de soi, mais de parler à partir de soi », dans le désir et l’ambition « d’éveiller l’homme au sens du monde et de la vie, d’élargir son paysage intérieur et de le faire dialoguer avec l’immensité du visible… ».
________________


Créez votre propre site internet avec Webador