Compte-rendu du 18 novembre 2023

Publié le 2 mai 2025 à 09:26

L’Association des Amis de Philippe Mac Leod : à la Maison d’accueil de Locquirec, une première rencontre… et des projets –

 

Le samedi 18 novembre, une première journée de conférences avait deux objectifs : d’une part, faire connaître davantage Philippe, grand poète encore trop peu connu et chrétien passionné, et, d’autre part, dégager l’unité de sa poésie et de sa spiritualité, leur enrichissement mutuel.

Les membres fondateurs – Frédéric Dieu, Sœur Anne-Cécile Rupied et Jean-François Duyck – ont présenté les principaux exposés ; trois témoignages de participants ont beaucoup intéressé les 27 personnes présentes et quatre livres de Philippe ont été résumés, pour susciter l’envie de les lire.

Cette journée de « lancement » de l’association a atteint son objectif : créer les bases d’échanges et de partage autour de Philippe et permettre de s’engager avec enthousiasme dans une voie chrétienne dont il a posé plusieurs jalons. Une participante concluait ainsi la journée : « C’est un trop beau cadeau pour ne pas ouvrir le cercle ! Sa première porte en est la toute nouvelle Association des Amis de Philippe Mac Leod. »

 

Voici le résumé des différents exposés :

 

Introduction à la vie et à la bibliographie de Philippe Mac Leod

J.-F. Duyck

 

1 - Après avoir présenté quelques citations d’auteurs contemporains sur Philippe et dit notre conviction que la littérature est un des lieux d’éveil spirituel, un rappel biographique a été esquissé. Un peu avant ses 40 ans, son choix d’une vie solitaire laïque – abandonnant une vie plutôt mondaine et agréable – est manifestement original. Doté d’un don et d’un goût incontestables pour l’écriture poétique, il avait acquis depuis quelques années une solide maturation théologique et spirituelle chrétienne et il assumait un quasi-érémitisme. Les vingt-cinq années qui suivirent – dans les Pyrénées surtout puis dans les Côtes-d’Armor où il est décédé en 2019, à 65 ans – furent celles de vingt ouvrages : recueils de poésie et essais, pétris d’intériorité, et complétés de témoignages très divers (chroniques, conférences, animations, interviews)...

Sa quête spirituelle fut radicale, cumulant trois caractéristiques exigeantes : un amour passionné pour le Christ, l’intensité de la prière et l’absolue nécessité du silence intérieur. Il a consacré sa vie à pénétrer le mystère de ce don total que Dieu fait à chacun ; et son originalité, comme pour son “père spirituel en poésie” Patrice de la Tour du Pin (1911-1975), est que l’écriture est devenue le lieu de son expérience et de sa mission spirituelle : la poésie devient prière et la prière est poésie.

 

Pour résumer, sa spiritualité

  • place ou replace le Christ au cœur de notre vie, avec enthousiasme;
  • nous engage dans un mouvement d’extension, qui va du plus loin en soi au plus loin hors de soi ;
  • conduit au bonheur de l’homme grandi, Dieu prenant vie en nous et nous communiquant sa propre vie, avec la conviction qu’ « une foi capable de nous transformer transformera tout autour de nous » ;
  • est une spiritualité de l’amour, qui n’est pas seulement un agir mais d’abord une profondeur, une plénitude d’être; l’amour est beauté et vérité ultime ;
  • est un hymne à l’amour – communication de la vie divine, présence infinie au creux de notre chair –, au vivant, à la beauté, à la lumière et à la joie ;
  • nous invite à franchir un pas décisif «en passant de l’amour captif, possessif à l’amour oblatif – de la demande à l’offrande, du souci de soi au don de soi, du plus petit que je suis au plus grand qui m’appelle ».

 

2 - Dans un second exposé, j’ai présenté l’héritage littéraire assez divers que Philippe Mac Leod nous a laissé (voir le site Phileod.fr), en dégageant des convergences dans cet ensemble : l’origine divine du langage et des mots ; le primat de l’expérience sur le mental ; la volonté obstinée de transmettre, d’“éveiller”, de convaincre ; l’unité d’une écriture foisonnante, luxuriante, élégante, sensible, qui requiert une lecture lente et recueillie.

 

Enfin il était nécessaire d’évoquer les sources littéraires et spirituelles de notre ami : la création, le vivant, la Bible dont les Psaumes et l’Évangile de Saint Jean, plusieurs grands maîtres spirituels – Bernard de Clairvaux, Guillaume de Saint-Thierry, Saint François d’Assise, Maître Eckhart, Sainte Thérèse d’Avila, Saint Ignace de Loyola, P. de la Tour du Pin, Maurice Zundel –, Bernadette Soubirous et Lourdes... Mais il fallait aussi insister sur la grande liberté et sur des convictions personnelles que Philippe revendiquait : selon lui, la vie précède l’activité littéraire, l’intériorité est la première inspiratrice, l’émerveillement est la première attitude, la vraie source est la profondeur de notre amour pour le Christ. Il ne nous renvoie pas à tel ou tel auteur, courant, influence, mais à notre rayonnement, à notre contemplation, à notre exemplarité, à notre responsabilité personnelle de chrétien, à un chemin que nous choisirons...

 

Philippe Mac Leod et le Christ

Anne-Cécile Rupied

 

Aborder ce thème de la relation de Philippe au Christ, c’est toucher le cœur de sa vie : « Notre ancrage le plus sûr : c’est le Christ », nous dit-il. C’est en Lui, le Verbe fait chair, qu’il nous est donné de participer à la vie trinitaire, cette « vie intense par sa circulation incessante et insaisissable, comme une palpitation, une pulsation de l’invisible qui sous-tend l’immense déploiement de l’univers » (PCCO, p. 240). Ainsi, plus il s’en approche intérieurement, plus le poète est en relation avec l’universel. Cette vie avec le Christ « est première, toujours – la vie, l’expérience, dont les mots sont un prolongement, une expansion plus qu’une expression » (HlM, p. 45-46).

 

1 - Philippe a suivi le Christ sur les chemins, tant par son parcours de vie toujours ouvert grâce à une écoute confiante, que parce qu’il n’a cessé d’arpenter sentiers et lignes de crête.

 

2 - Pour vivre du Christ, l’auteur propose “les 3 P” : Parole, Prière, Pain (eucharistique). Il voit dans l’Évangile la révélation par excellence du Christ, à l’œuvre dans la vie quotidienne ; Jésus pose sur les êtres, la nature, les choses un regard de poète qui en révèle l’essence, parce qu’en lui tout participe de la Vie, et de l’unité de toute vie. Il aime particulièrement s’exprimer en paraboles afin de nous faire passer d’un regard extérieur à cette perception intérieure.

Philippe porte le même regard sur la réalité : « Les choses, depuis l’origine, sont déjà porteuses d’une parole, d’un sens vivant. Tout en ce monde est ordonné au Royaume » (IT, p. 162). Quant aux paraboles de la croissance, tant de mots les relaient sous sa plume : “déploiement”, “éclosion”, “élargissement”, “explosion”, “débordement”, etc. Ainsi, « Depuis que le Verbe est venu, […] tout est parole : figures, signes, murmure toujours recommencé, qui ne cesse de croître et de multiplier, comme si la vie elle-même ne parvenait pas à épuiser son propre mystère » (PCCO, p. 181-182).

 

3 - Chaque dimanche matin, Philippe méditait le prologue de l’Évangile de Jean, « ce texte qui marche devant nous comme jadis la colonne de nuée, d’une ampleur originelle », et qu’il faut relire « pour prendre notre place sur cet axe qu’il dessine, cette puissance verticale qui se monte comme elle se descend » (IT, p. 125-126). Nous retrouvons dans les écrits du poète bien des mots présents dans ce Prologue : commencement, parole, vie, lumière, naissance, chair, grâce, vérité, fils… ; on pourrait dire que ce texte est comme en arrière-fond de son œuvre, et ceci à plusieurs niveaux :

  • d’abord le niveau de la Révélation: le Verbe fait chair, à qui Philippe a donné sa foi, et qui est le fondement de sa vie : « Du Christ, nous ne retenons que les paroles, nous ne le percevons pas [assez] lui-même comme Verbe, sens, principe, sève divine qui court à travers les âges, personnalisation du silence infini, universalisation du fond de tout être » (SB, p. 107).
  • le niveau de la vie baptismale, participation à la vie trinitaire, nouvelle naissance : « La virginité, c’est ce lieu où tout nous semble commencer, pour la première fois, comme un surgissement, l’univers lui-même, l’être qui m’est donné, moi-même, ici, maintenant, dans un éclat nouveau comme en ce matin de neige […]. La virginité ne peut enfanter que l’éternité » (PCCO, p. 81-83).
  • le niveau de la création poétique: « Les mots qui naissent du dedans de notre chair » (HlM, p. 15) ; « Une poésie qui renoue avec le commencement, une pensée originelle, mais qui annonce et prépare aussi la fin des temps, d’une matière littéralement soufflé par les langues – ou la langue – de l’Esprit » (HlM, p. 58).
  • Le niveau du témoignage écrit, à l’instar de Jean le Baptiste dans ce prologue, qui « n’est pas la lumière mais le témoin de la lumière »: « Je n’ai cessé d’en appeler à une poésie mystique […], une poésie qui participe à cette remontée de toutes choses vers le Père, dans le Fils, par l’Esprit Saint qui ne pénètre la matière que pour la soulever […]. La poésie entrait dans le mystère de l’incarnation » (HlM, p. 56-57).

Et l’auteur de conclure en ces mots lapidaires, pour lui-même : « Dieu est le secret de ma chair » (PCCO, p. 52) ; et pour sa poésie : « Les mots […] dégagent quelque chose entre matière et lumière, esprit né de la chair, chair de l'esprit ou chair traversée » (SB, p. 74).

PCCO : Petites chroniques d’un chrétien ordinaire

HlM : Habiter les mots

IT : Intériorité et témoignage

SB : Sens et beauté

 

En vie profonde : la poésie de Philippe Mac Leod

Frédéric Dieu

 

Avance en vie profonde : tel est le message que Philippe Mac Leod attend et reçoit de la poésie. Pour lui, la poésie engage tout l’être, toute la vie : elle est fréquentation de la Vie, de son mystère et de sa vérité. Elle est contemplation et manifestation d’une transfiguration. Et c’est dans le silence et par la prière qu’elle naît.

À la source de son œuvre poétique, il y a le désert et son silence. Oui, la retraite est le fondement de sa vie de poète, d’une vie en poésie qu’il ne sépare pas de sa vie en Dieu. Rien ne doit être écrit qui n’ait d’abord été vécu et vérifié dans le silence et la lumière intérieurs. C’est donc un choix radical de vie que Philippe a fait à partir de 40 ans ; mais ce n’est pas le monde qu’a quitté le poète mais ce monde : « Je n’ai pas quitté le monde, mais votre monde, vos savoirs, vos divertissements » (Sagesses, p. 59). La retraite est en réalité un éloignement qui recentre, un écart qui rapproche de tout. Ce silence, il l’a trouvé dans la montagne, mais de quel silence s’agit-il ? Non pas la privation des voix du monde et de moi-même, mais une présence et une substance, l’espace et le déploiement d’un souffle de vie, la manifestation de l’esprit qui anime toute chair.

La marche est également essentielle à sa vie comme à son écriture. Elle est un déploiement d’être et de pensée, la réalisation à l’extérieur d’une écriture intérieure – circulation intérieure qui est celle du sang et de la vie – qui en attendait le support. Tout se tient chez Philippe Mac Leod : la circulation de la vie, la marche et l’écriture. Marcher c’est aussi entrer dans le monde de la terre et du temps, c’est éprouver leur réalité vivante. C’est arpenter le  « grand livre de la nature, de la vie, de chaque instant » (Lettre à G. Rouquet en Liturgie des saisons, p. 76). Ainsi on entre dans l’écriture du monde, on fait la rencontre d’une plus grande présence, on pressent une parole de délivrance et de gratitude qui relève et rend la vie. Cette parole est d’abord celle de Dieu, mais le poète qui vit en Lui peut ensuite mettre ses pas et sa voix dans la sienne, la relayer et la prolonger, accomplissant alors sa vocation. C’est une ardente obligation.

Avancer au large

Son élan vers une vie plus vaste que la sienne et plus authentiquement sienne, Philippe Mac Leod la trouve dans de providentielles fraternités : avec la terre et ses labours, avec l’oiseau, avec les arbres. Pour se libérer et conformer le regard et la vie de l’homme à ceux de son Créateur, Philippe écrit : « Regarde au loin... Avance, élargis ta vie... Agrandis l’espace de ton cœur... » (L’infini en toute vie, p. 83) car c’est « Dieu qui fait l’étendue de ton regard, sa largeur et sa profondeur » (ITV, p. 56). La poésie de Philippe Mac Leod est donc à la recherche de cette solidarité qui est finalement celle de l’âme et du monde. Âme, chair et monde sont traversés d’un même souffle, d’une même vie, ce qui est source de joie. « La joie, c’est le sentiment profond de la vie universelle. Et la joie parfaite, comblée, c’est cette conscience soudaine, lumineuse, libératrice, d’y participer » (ITV, p. 79).

Cette rencontre, cette union,  entre la chair (c’est-à-dire toute la personne) et le monde nous introduisent « dans le mystère encore vierge d’un être qui nous submerge de part en part » (ITV, p. 41). Philippe écrit encore dans L’infini en toute vie p.56 : « tu vivras de ce souffle qui respire en toi comme un grand ciel, un air d’une transparence inouïe, qui fait qu’à un certain degré d’ouverture et de clarté, c’est Dieu, Dieu littéralement qui t’emplit » (ITV, p. 56).

 


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